SERVAGE (Russie)

SERVAGE (Russie)
SERVAGE (Russie)

SERVAGE, Russie

Au début de l’histoire russe, la masse rurale, désignée le plus souvent par le substantif smerd , était composée d’hommes libres. Avec l’extension des grandes propriétés appartenant aux princes, aux boyards ou à l’Église, une partie des paysans se trouva placée dans la dépendance économique des grands propriétaires; en échange d’une parcelle de terre, de l’habitat et de l’outillage, le paysan devait à son maître une redevance (obrok ) ou bien était tenu d’accomplir des corvées sur le domaine seigneurial (barchtchina ). Il conservait cependant le droit de quitter son seigneur. À côté des paysans libres ou semi-libres, le Moyen Âge russe a toujours connu des esclaves (kholopy ) qui exploitaient, le plus souvent, le domaine direct du seigneur.

Les progrès du servage se font particulièrement sentir à la fin du Moyen Âge, quand les terres libres, c’est-à-dire celles qui relevaient du pouvoir politique du prince (dans la Russie du Nord-Est, elles étaient appelées «terres noires», tchornye zemli ), voient leur surface diminuer au profit des terres ecclésiastiques (l’expansion monastique commence dans le dernier quart du XIVe siècle) et au profit des pomestia , ces terres que le prince attribue, à titre précaire originellement, à ses nouveaux serviteurs, les dvoriane . Pratiquement, au début du XVIIe siècle, les «terres noires» ont disparu dans la Russie centrale pour ne subsister que dans les régions septentrionales. Les petits ou moyens tenanciers qu’étaient les dvoriane vivaient sous la menace de voir leurs paysans les quitter, soit pour passer au service d’un propriétaire laïc ou ecclésiastique plus puissant, soit pour rejoindre dans la steppe les bandes de Cosaques. Aussi le pouvoir central — dont le personnel politique, militaire et administratif était de plus en plus constitué par cette nouvelle classe nobiliaire — fut-il obligé de renforcer les liens économiques qui attachaient le paysan à sa terre et à son seigneur: obligation de rembourser les avantages matériels reçus au moment de l’installation; limitation pour les paysans du droit de quitter leur maître à une période de deux semaines autour de la Saint-Georges (le 26 novembre). Ces deux conditions posées au départ des paysans sont stipulées dans le Code de 1497.

Pendant le XVIe siècle, aux facteurs déjà cités vient s’ajouter l’augmentation des redevances (payées parfois en argent). Cette aggravation de la situation économique et sociale de la paysannerie, les désordres dus à l’opritchnina et enfin des calamités naturelles entraînent à la fin du règne d’Ivan le Terrible (1584) un véritable dépeuplement de la campagne russe. Pour faire face à cette situation dramatique, Boris Godounov décide de retirer aux paysans, provisoirement d’abord puis définitivement (1592-1593), le droit de quitter la terre où ils venaient d’être recensés. En même temps, à la suite de la crise de la main-d’œuvre, la redevance en nature ou en argent est fréquemment remplacée par la corvée, plus astreignante. Toutes ces mesures aboutissent, après la famine de 1601-1603, à des jacqueries dirigées par Khlopko en 1603 et surtout par Bolotnikov (1606-1607).

Dans la première moitié du XVIIe siècle, la prescription de cinq ans dont bénéficiait le délit de fuite permettait encore à de nombreux serfs de quitter leur maître. Aussi les suppliques des propriétaires terriens, et tout particulièrement des moins fortunés d’entre eux, les dvoriane , demandent-elles au tsar d’édicter une législation plus rigoureuse.

Le renforcement de l’État a assuré la victoire des petits seigneurs sur les aristocrates, toujours prêts à accueillir les fugitifs, voire à débaucher les paysans de leurs voisins. En 1648-1649, tandis que la bureaucratie achève le premier recensement par feux, les députés de la noblesse au Zemski Sobor (états généraux) obtiennent l’abolition de toute prescription pour le délit de fuite. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, des missions spéciales confiées à des «limiers» imposent la restitution des paysans en rupture de ban, parfois depuis des décennies; Pierre le Grand colmate la dernière brèche en obligeant les Cosaques du Don à livrer ceux qui avaient déguerpi dans les confins. Sans doute le Code de 1649 maintient-il la distinction entre les paysans dépendants et les véritables serfs ou kholopy , propriété personnelle du seigneur. Mais l’État ne défend les paysans que pour sauvegarder ses propres intérêts, dans la mesure où le kholop était dispensé de l’impôt et des services obligatoires. Progressivement, les réformes fiscales et militaires rendent ces précautions inutiles: généralisé à la fin du XVIIe siècle, l’impôt par feux pèse aussi bien sur les kholopy chassés que sur les paysans, en attendant que Pierre le Grand exige de tous les roturiers la capitation et le service militaire. Sans aucune modification légale, la situation des paysans se dégrade ainsi par assimilation à la catégorie inférieure: malgré les scrupules du tsar réformateur, les propriétaires n’hésitent plus à vendre leurs paysans sans la terre, en dissociant même les familles; Pierre le Grand lui-même qualifie officiellement les paysans de «sujets» de leurs seigneurs, déniant tout caractère contractuel au statut des serfs.

À la différence de la Pologne et de l’Allemagne orientale, déjà largement ouvertes sur le marché international, le renforcement de la domination seigneuriale en Russie ne s’inspire donc pas à l’origine de considérations mercantiles, mais d’une réaction défensive contre la fuite d’une main-d’œuvre indispensable pour assurer la simple consommation de la noblesse.

Mais avec le progrès des échanges intérieurs, le servage s’adapte peu à peu à l’économie marchande. En dépit du gaspillage provoqué par une domesticité surabondante, le dégagement d’un surplus disponible pour la vente est rendu possible par une exploitation plus intensive d’une force de travail largement sous-employée dans le passé; si la productivité du travail sous la contrainte reste faible, ce handicap compte peu en comparaison des aléas météorologiques qui font varier la récolte des céréales du simple au quadruple. Les économistes libéraux ont beau dénoncer le coût réel d’une main-d’œuvre prétendument gratuite, leur argumentation ne convainc guère les propriétaires qui ont amorti depuis longtemps le prix de leurs domaines ou qui empruntent à un taux avantageux en hypothéquant leurs «âmes» (serfs). Reste que la marge de productivité manuelle inemployée tendait à s’épuiser, car le seigneur ne pouvait dépasser la norme de trois jours de corvée par semaine sans compromettre l’équilibre des exploitations paysannes qui fournissaient le cheptel vif et mort pour la mise en culture de la réserve; sans compter que le passage à une agriculture plus diversifiée impliquait désormais le recours à des investissements et à une main-d’œuvre salariée moins négligente.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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